Bedford, le 27 février 2023
L’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA) a publié les résultats
d’une étude d’envergure menée sur cinq ans qui brosse le portrait de l’état de santé des sols
cultivés au Québec. C’est le chercheur en conservation des sols et de l’eau Marc-Olivier Gasser
qui a mené cette vaste étude dont les résultats sont présentés en cinq rapports disponibles en
ligne. Mandaté par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
(MAPAQ), l’IRDA a évalué les 71 types de sols les plus représentatifs du Québec agricole, répartis
sur 431 sites à travers la province, avec la collaboration de plus de 400 producteurs et de 25
groupes de services conseils en agroenvironnement. L’approche retenue consistait à comparer
les propriétés physiques, biologiques et physico-chimiques des sols cultivés à celles de sols
témoins non perturbés.
Comme l’avait déjà mis en lumière un premier inventaire des problèmes de dégradation des sols
agricoles réalisé en 1990, l’étude récente de l’IRDA confirme que les sols agricoles du Québec
subissent toujours une forte pression liée à la rotation des cultures annuelles et aux pratiques
culturales intensives. Les résultats démontrent également que l’état de santé des sols varie en
fonction des régions agricoles et de la nature des sols, reflétant à la fois l’intensité des systèmes
de culture, mais aussi la susceptibilité à la dégradation des différents types de sols. Ainsi, les sols
cultivés de façon intensive au sud du Québec, dans la plaine de Montréal et le Centre du Québec,
sont plus affectés par la compaction et le manque d’aération. La structure des sols y est
davantage dégradée et les teneurs en matière organique y sont généralement plus faibles que
dans les autres régions agricoles du Québec.
De façon générale, l’étendue des phénomènes de dégradation des sols n’aurait pas
significativement progressé depuis 1990, la santé des sols des régions agricoles septentrionales
apparaissant même moins affectée qu’il y a trente ans. L’importance des superficies sous
prairies contribue à préserver une bonne condition physique des sols. Les sols en régions plus
méridionales demeurent néanmoins aussi compacts et manquent autant d’aération qu’en 1990,
en raison du type de cultures, principalement le maïs et le soja, qui appellent à des travaux
aratoires récurrents, parfois en conditions d’humidité des sols défavorables tôt au printemps et
tard à l’automne. Ces pratiques culturales augmentent le risque de dégradation de la structure du
sol, de même que la diminution de la teneur matière organique du sol, lorsque les apports ne
suffisent plus à équilibrer les pertes de carbone du sol. Or la matière organique agit comme un
réservoir de nutriments, elle augmente la rétention d’eau, cimente les particules minérales du sol
entre elles et joue un rôle protecteur contre l’érosion. La teneur en matière organique dans la
couche de surface est donc un élément clé pour la conservation des sols, puisqu’elle influence à
la fois le fonctionnement chimique, physique et biologique de ceux-ci.
Si l’étude met en relief les enjeux liés à la santé des sols du Québec, elle démontre également
que l’adoption de pratiques de conservation telles que le travail réduit du sol et la mise en place
de cultures de couverture permettent d’améliorer les propriétés des sols. Déjà observé en
conditions de parcelles expérimentales, les bénéfices liés aux pratiques culturales de
conservation sont aussi bien mis en évidence dans bon nombre d’entreprises agricoles dans
l’ensemble du Québec.
L’étude de l’IRDA conclut sur la recommandation de sept principes d’interventions en appui aux
choix de pratiques et de stratégies visant à conserver, voire améliorer, la santé de sols.
Maintenir, voire accroitre les surfaces agricoles en cultures pérennes
Les résultats du 2e rapport de l’étude de l’IRDA démontrent que les systèmes sous cultures
pérennes ou sous cultures annuelles associées à des cultures pérennes présentent en général un
meilleur état de santé des sols que les systèmes en grandes cultures annuelles ou en production
maraichère.
Améliorer la gestion des machineries agricoles afin d’éviter la compaction et la dégradation
physique des sols
Le problème de compaction des sols est reconnu depuis longtemps au Québec. Les relations
étroites entre plusieurs indicateurs de santé des sols et le risque de compaction estimé à partir
du nombre de passages, de la grosseur de la machinerie et des mesures de prévention déclarées
par les producteurs sont présentés dans le 2e rapport de l’IRDA.
Accroitre l’utilisation des techniques de travail du sol simplifié ou du semis-direct
De façon générale, il est reconnu que l’utilisation répétée et continue du labour conventionnel
(charrue à versoir) conduit à la dégradation de certaines propriétés du sol, en particulier de la
matière organique dans l’horizon de surface. Plusieurs études réalisées au Québec et à
l’international ont mis en évidence l’effet bénéfique et rapide du travail réduit et du semis-direct
sur la quantité et la qualité de la matière organique, l’activité biologique et la stabilité structurale
des sols, en particulier dans l’horizon de surface.
Maintenir une couverture du sol (vivante ou résidus de culture)
Le maintien d’une couverture végétale permanente ou d’un paillis contribue au maintien de la
matière organique, de l’activité biologique, de la stabilité structurale et des propriétés
hydrauliques du sol.
Diversifier les rotations en grandes cultures
La diversification des cultures est un des piliers de l’agriculture de conservation des sols. Au
niveau agronomique, il existe de nombreux bénéfices liés à la diversification des cultures, en
particulier pour le contrôle des ravageurs. Les données de l’étude de l’IRDA ont permis de
comparer divers systèmes de cultures intégrant ou non des cultures pérennes, annuelles et
maraîchères. L’effet bénéfique de la présence de cultures pérennes dans la rotation sur les
indicateurs de santé de sols a clairement été démontré par rapport aux cultures annuelles et aux
cultures maraîchères.
Favoriser une gestion intégrée des fumiers de ferme
Les fumiers de ferme constituent une ressource importante d’éléments nutritifs et de carbone à
valoriser dans les systèmes de culture au Québec, et favorisent l’augmentation des teneurs en
matière organique des sols. Une meilleure gestion des fumiers en fonction des besoins de la
plante et de la fertilité des sols est possible pour éviter l’accumulation de certains éléments
fertilisants en excès dans les sols. Dans les régions où les teneurs sont importantes et nuisent à
la qualité des sols et de l’eau, des stratégies visant à exporter une partie de ces éléments en
excès dans le milieu, incluant le traitement et la séparation des éléments fertilisants à la source
(phosphore entre autres), devraient être envisagées. De nombreuses solutions existent dans ce
domaine.
Éviter sinon réduire ou optimiser l’usage des intrants de synthèse.
L’effet de l’usage des intrants de synthèse (engrais minéraux, pesticides, etc.) sur la santé des
sols de même que tous les produits de synthèses (antibiotiques, contaminants d’intérêt
émergent, etc.) qui se retrouvent épandus dans les champs n’a pas été étudié en détail dans le
rapport de l’IRDA.
Il est toutefois recommandé de mettre en place des stratégies pour éviter sinon réduire ou
optimiser l’usage des intrants de synthèse, par mesure de précaution.
Bien que ces solutions soient connues, le climat et les propriétés propres aux sols du Québec, de
même que les enjeux économiques, représentent cependant certains défis quant à leur
application. L’accompagnement technique et financier des entreprises agricoles demeure
essentiel pour appliquer sur mesure ces principes de saine gestion des sols.
Le maintien des sols en santé comporte non seulement d’importants bénéfices à long terme pour
les entreprises agricoles, mais aussi pour l’ensemble de la communauté. Un sol en santé favorise
l’infiltration de l’eau et le recyclage efficace des résidus de culture et des amendements. Une
bonne condition physique et biologique contribue à limiter l’intensité du ruissellement de surface
lors des pluies intenses et de la fonte du couvert de neige. Il faut rappeler que le ruissellement de
l’eau sur les terres agricoles demeure la principale voie de transport des sédiments et des
nutriments vers les ruisseaux, les rivières et les lacs. L’investissement dans les saines pratiques
de gestion en santé des sols s’inscrit ainsi en première ligne dans la prévention de
l’eutrophisation de nos plans d’eau et des proliférations de cyanobactéries dans les plans d’eau
de notre région.